#Extrait du Shaker, n°12, Christa Wolf
Dans son court texte, Lui et moi, Christa rend d’hommage à son mari, un homme avec lequel elle partageait tout, et même un peu trop… Plutôt que d’y voir comme elle un homme généreux, aimant et attentionné, j’ai vu une personnalité à tendance tyrannique narcissique.
Qu’elle affirme ne pas pouvoir faire les magasins de fringues sans lui parce qu’elle tergiverse toujours pendant des heures et qu’il l’aide à trancher rapidement, je le conçois très bien, n’étant moi-même pas versée dans le magasinnage. Mais, au fur et à mesure des anecdotes, le mari semble de plus en plus omniprésent, voire même étouffant.
Quand ils visitent un musée, il en fait le tour rapidement seul, puis revient derrière elle qui prend son temps à observer chaque œuvre pour commenter et signaler que ça ne vaut pas le coup de s’y attarder ; elle constate elle-même combien cela lui gâche son plaisir. Quand il s’agit de l’éducation des enfants, Christa doit servir d’intermédiaire pour tout : pas de contact direct avec ses filles mais il tient à être informé de tout, tout de suite.
Et ce qui me choque bien sûr le plus, en tant qu’écrivaine : « Si l’unique bon à tirer d’un de mes livres arrive, d’abord je ne le vois pas, il s’en empare, le tourne et le retourne dans ses mains, donne son avis […] ", résumant pour finir : « Ça peut aller ». (p. 88). Au début de leur relation, il se permet de lire ce qu’elle est en train d’écrire par-dessus son épaule, il vole le début de ses manuscrits et les lit sans son autorisation. Il est aussi un prescripteur très insistant : « Il me passe des livres et me demande de les lire, rapidement si possible, mais sans pouvoir renoncer à m’influencer, en lâchant quelques jugements partiels […]. » (p. 89). En toutes circonstances, il ne se prive jamais d’imposer sa critique et son propre avis avant que Christa n’ait pu se faire sa propre idée. Mais « Les jugements qu’il porte sur les gens : prompts, cernant la plupart du temps l’essentiel et sans tenir compte de ses inclinations ou réticences personnelles au sujet de l’auteur. » (p. 89).
Voilà ce qui m’a peut-être le plus gênée : Christa le défend. Inconsciemment, elle croit dresser le portrait d’un homme qu’elle admire, mais je vois moi une femme à la merci d’un homme égoïste, autocentré et tyrannique. Le pire est sans doute qu’elle semble avoir tout accepté de lui tant dans leur vie commune que dans son propre art, qu’elle n’a pas préservé de lui qui juge tout hâtivement et avec ce qui me semble être de l’intolérance…
Alors, je m’interroge : un écrivain a-t-il le droit de laisser quiconque interférer dans son écriture, même s’il s’agit de la personne qui partage sa vie ? Et une femme peut-elle s’autoriser à s’aplatir aussi bassement… ? Là, perso, je ne te suis pas, Christa...

Références : Wolf, Christa. Lire, écrire, vivre. Paris : Christian Bourgois, 2015. 195 p.
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