« Quiet chaos » désigne « une chasse sans fin, une chasse où, d’un moment à l’autre, le chasseur peut se transformer en gibier » (p. 490), le narrateur à la première personne définit-il ainsi cette période de vide existentiel lorsque sa femme meurt soudainement tandis qu’il secourait une femme en train de se noyer au large. 
Pietro se retrouve donc seul avec sa fille et, comme un effet de miroir – est-ce le reflet de sa propre absence de réaction qui empêche sa fille d’extérioriser la moindre émotion ?-, aucun des deux ne semble souffrir de cette perte. Objectivement (car lui ne semble pas le savoir), la vie de Pietro devient chaotique, relève de l’absurde et du non-sens de ces événements qui s’enchaînent sans qu’il ne semble y avoir de prise possible. 
Sans préméditation, alors qu’il dépose sa fille à l’école, Pietro décide de stationner devant jusqu’à la sortie des classes. Une journée se passe dans le repos de l’attente sans but, ce calme justement insensé comme si Pietro avait décidé de pousser le bouton « pause » pour un temps suspendu indéterminé. 
Puis deux jours, trois jours, cette attente devient un rituel quotidien. Pietro reçoit ses visites dans le parc ou le café en face de l’école; on entend parler de lui, les oui-dires se multiplient, des gens qui le connaissent de près ou de loin cherchent autant de raisons possibles à l’attitude de Pietro, à cette interruption du cours de sa vie, chacun peut y trouver sa propre résonance tandis que la raison même pour Pietro demeure opaque: il ne sait pas pourquoi il reste là toute la journée, il ne se sent pas souffrir, il est simplement là, il voit sa fille pointer son nez à la fenêtre aux heures de récréations, ils se rassurent mutuellement. 
Et ces gens (collègues, amis, famille) qui trouvent un sens à cette suspension d’une vie, viennent s’entretenir avec lui, d’abord avec une certaine cordialité ou la volonté de lui faire entendre raison, pour finalement s’épancher, révéler des parts intimes de leurs vies qu’ils n’avaient jamais révélées. Pietro dit qu’ils « viennent souffrir » comme ils s’imaginent que lui souffre au point de demeurer immobile toute la journée devant l’école de sa fille, incapable de réagir à la mort de sa femme. Mais lui, que ressent-il vraiment?

Chaos calme est un long monologue de l’absurde. Les pensées, les événements et les souvenirs se projettent sur la psyché de ce personnage (est-il seulement miroir? éponge? être immobile permettant aux autres de venir déposer en lui leurs propres affects qu’il reçoit en silence?), et ses pensées sont livrées dans le flux discontinu d’une pensée sans logique - procédé réaliste par excellence défaisant les critiques de ceux qui voudraient que le roman soit un révélateur logique et raisonné du monde. 
Ici, c’est au lecteur d’en faire sa propre analyse, de tenter de comprendre, comme finalement le florilège de personnages gravitant autour de Pietro, les tenants et aboutissants d’une décision socialement inconcevable: celle de simplement faire une pause, s’asseoir pour observer le film muet du chaos du monde dont on tente de suspendre la résonance dévastatrice en soi.
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