#Extrait du Shaker, n°10, Patti Smith
« Je vivais dans mon monde, rêvais des morts et de leurs siècles disparus ». Amis vivants ou morts, artistes côtoyés dans la vie ou dans leur œuvre, Patti vit entourée de fantômes bienveillants dont elle convoque la lumière pour éclairer sa vie de milles échos.
Il y a bien sûr les vivants, mais intéressons-nous plutôt aux morts (ceux qu’elle a connus de près ou de loin ou qu’elle n’a jamais rencontrés) et le nombre incalculable de lieux sur lesquels se recueille Patti, le temps d’un tête-à-tête qui se joue du temps et de l’espace, en pleine conscience de l’autre. Il y a le périple qu’elle fait à Paris au début des années 70 sur les traces de Rimbaud. Sa manie de s’entourer d’une multitude d’objets de toutes sortes pour invoquer son champ d’inspirations amies. « Mon coin bureau était un fouillis de pages manuscrites, de classiques qui sentaient le moisi, de jouets cassés et de talismans. J’ai punaisé des photos de Rimbaud, Bob Dylan, Lotte Lenya, Piaf, Genet et John Lennon, au-dessus d’un bureau de fortune où j’avais disposé mes plumes, mon encrier et mes carnets – mon bazar monastique. » (JK, p. 69) Son élan pour, physiquement, se déplacer vers l’autre, comme de marcher sur les traces pour grappiller çà et là les ersatz d’une vie, d’un art : « J’imaginais sa [Frida Kahlo] souffrance intense qui semblait amenuiser la mienne. » (JK, p. 110). On la voit aussi sur la tombe de William Blake dans le documentaire Dream of life. Dans Just kids, elle raconte sa visite aux tombes de Rimbaud, Baudelaire, et Jim Morrison à Paris, sous la pluie alors qu’une vieille dame lui demande « Réponds-moi, l’Américaine ! Pourquoi vous n’êtes pas capables d’honorer vos poètes, vous les jeunes ? » (JK, p. 315). Dans M Train, ce sont aussi Bertold Brecht, Sylvia Plath, Jean Genet. Ce sont aussi des sculptures et des représentations qu’elle va contempler, un temps pour accorder toutes ses pensées à l’ami invoqué. « Elle cite le cinéaste italien Pier Paolo Pasolini : "Ce n'est pas que les morts ne parlent pas, c'est que nous avons perdu l'habitude de les écouter." » (Le Monde). 
Tout est pour Patti tremplin symbolique la rapprochant des êtres qui lui sont chers. Mais ce que j’aime surtout, c’est sa façon d’être une caisse de résonances imprégnée des échos des fantômes qui partagent sa vie, de les synthétiser en elle et de nous les partager. « Je humais leurs esprits en filant silencieusement d’étage en étage, rêvant de discourir avec une procession enfuie de chenilles fumantes. » (JK, p. 160)
Qu’elle soit déplacement physique ou élan spirituel, hommage ou invocation par la pensée pour avoir l’autre autour de soi, toujours, une présence bienveillante pour avancer avec elle, Patti visite ses fantômes et les transporte en elle afin que, chaque jour, ils l’accompagnent dans un élan de vie qui ira toujours au-delà de la mort : la création.

Biblio :
Plougastel, Yann. « Les fantômes de Patti Smith » Le Monde, 06/03/2008. Consulté sur http://www.lemonde.fr/le-monde-2/article/2008/03/06/les-fantomes-de-patti-smith_1018870_1004868.html#Rh1qKtGzHtSEHTgV.99
Sebring, Steven. Patti Smith : Dream of life. Why Not Productions/Cinéma du Panthéon, 2008.
Smith, Patti. Just Kids. Folio, DL 2012, cop. 2010, 373 p. Traduit de l’américain par Héloïse esquié.
Smith, Patti. M Train. Gallimard, 2016-04-01T22:00:00+00:00. iBooks
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