Le manuel de Martin Page ne parle pas seulement d’écriture mais avant tout de survie, et au-dessus de tout, de vie.
Et le terme « manuel » prend ici tout son sens car il ne s’agit pas d’inculquer quoique ce soit mais bien de fournir une boîte à outils d’expériences et d’expérimentations de vie toutes personnelles qui peuvent être piochées par le lecteur ça et là afin qu’il y trouve matière à réflexion, ouverture vers d’autres perceptions, bref des découvertes de soi, de l’autre, du monde, à portée de main, là dans un seul livre.
C’est sans prétention (comme toujours) que Martin Page livre ses propres réflexions sur la vie et le monde, et surtout sur le vivre avec l’autre, avec soi-même et les autres.
Ce manuel se présente sous la forme d’une correspondance à une voix : Martin Page se livre, réfléchit, construit une relation d’intimité avec une certaine Daria (fictive, une forme d’auto-correspondance en fait), une jeune écrivain en proie aux doutes et aux questionnements que pose l’écriture et le rapport de l’écriture à la vie, son imbrication dans la vie d’un écrivain qui ne peut définir de barrière nette entre cette capacité (ce travail d’artisan, souligne Page) et la vie quotidienne ; et parce que ces deux pans de vie s’influencent constamment, naissent des questions : légitimité, critiques, partage de ses écrits, etc.
À travers ce questionnement sur l’écriture et le travail d’écrire, c’est toute la vie qui est alors convoquée dans ses plus sinueux, et à la fois universels, aspects : comment affronter les instants de solitude ? Comment vivre avec un certain mal en soi sans être pour autant dépressif et ne plus croire au bonheur ? Comment bousculer sa vie pour lui donner une voie épanouissante, quand bien même elle serait toujours semée d’embûches, y voir le bon en cela, avancer.
Martin Page soulève des questions et offre ses propres réflexions sans jamais imposer sa vision des choses ou tabler qu’elle serait meilleure qu’une autre ; cela se fait en toute humilité. Et c’est, selon lui, ainsi que devraient se nouer toutes les relations humaines : dans le respect, l’écoute et la relativisation constante de sa propre perception forcément faussée car incomplète et subjective. Car « De toute façon, celui qui donne des conseils cherche d’abord à s’éduquer lui-même. Parler à quelqu’un est une manière détournée de se parler à soi. Ne croyez pas que j’aie une triste vision des rapports humains. Certes, je pense que l’autre nous permet d’accéder à notre propre intimité. Mais se comprendre est le meilleur service qu’on puisse rendre à ceux qu’on aime » (p.11).
Ce livre ne s’adresse donc pas seulement aux auteurs ou aux artistes ; mais lire ce livre pour un « écrivain en herbe » (comme on appelle communément ceux qui n’ont pas encore publié) est un souffle d’élan : on y trouve une légitimité à continuer, on y trouve des échos de nos propres doutes, on est confortés (ne pas être les seuls à les connaître, ne pas se sentir seuls) : « Être écrivain n’est pas une marque de distinction, mais une excitante aptitude à l’obsession, à l’observation et à l’imagination. C’est un savoir-faire, des techniques, du travail constant, une manière de vivre tout autant qu’une manière de gagner sa vie. Des années ont été nécessaires avant que je puisse utiliser ce nom sans ressentir d’inconfort. Ce n’est pas plus mal : il y a des vêtements qui ne sont beaux et confortables que lorsqu’ils sont usés et patinés » (p. 17-18).
Je ne me serais pas élancée avec confiance et ce site n’existerait sans doute pas aujourd’hui si je n’avais pas rencontré le livre de Martin Page, alors avec cette modeste lecture, je souhaiterais le remercier et aussi le faire connaître, le partager avec d’autres comme un de ces rares livres essentiels qui traversent une vie et laissent une trace indélébile.
« Le but de l’existence est de rassembler autour de soi des amis avec qui l’on partage une éthique et un goût pour la conversation (et pour les longs silences savourés en commun), des êtres avec lesquels on n’a pas besoin de dissimuler notre douceur, notre candeur et notre enthousiasme. Nous nous trompons, nous sommes excessifs, idéalistes, maladroits et naïfs. Mais pour de bonnes raisons : nous tentons des choses dans nos créations, nous prenons des risques, nous refusons de reproduire une recette » (p. 163).
Références : Page, Martin. Manuel de survie et d’écriture. Paris : Seuil, DL 2014. 171 p.
Son site : http://www.martin-page.fr/
Son blog : http://www.martin-page.fr/blog/