En 2004, l’allemand Uwe Janson signe une adaptation de Brecht sous forme de téléfilm expérimental qui passe quasi inaperçu, tard dans la nuit sur Arte. Pourtant, cette adaptation a de quoi décoiffer. Pas seulement grâce au bel esthète choisi pour incarné Baal (le très peu connu également Matthias Schweighöfer qui a pourtant une bonne vingtaine de films et une dizaine de téléfilms à son actif) dont le corps et la posture incarnent à eux seuls la révolte de la jeunesse, mais aussi pour la couleur punk et intemporelle que donne Uwe Janson à la pièce de Brecht publiée en 1918-1919, et qui était déjà très dans l’esprit rock’n roll, alliant poésie, autodestruction, mythologie et anarchisme avant l’heure.
Baal est le nom d’une divinité égyptienne antique : il est le dieu universel de la fertilité. Si Brecht choisit cette figure pour caractériser son personnage principal, pourtant personnalité destructrice et dévorante, c’est justement pour mettre en lumière l’idée que pour qu’il y ait vie, création de vie, il faut qu’il y ait eu auparavant destruction et mort. Sorte de cycle sans fin que Brecht illustre dans sa pièce par la métaphore de l’homme dans la forêt qui, délaissé et repoussé par ses semblables s’en va mourir dans la forêt pour que de sa pourriture naisse un arbre.
Le film de Janson est en effet un hymne nihiliste à la vénalité de la vie, à la destruction de soi et des autres, au débordement constant des frontières de la bonne société pour pousser toujours plus loin dans l’absurde et la démesure. « Et lorsque Baal se met à casser quelque chose, / Pour voir comment c’est en dedans de cette chose, / C’est dommage mais c’est pour plaisanter, et Baal, / Même pour son étoile, a cette liberté. / Serait-elle crasseuse, elle est à lui, entière, / Et ce qui est collé dessus, à lui, à Baal, / Son étoile lui plaît. Il en est amoureux, / Déjà qu’une autre étoile il n’en existe pas » (Brecht. Baal.). Comment ne pas voir déjà dans la figure de Baal version Brecht l’avant-garde de ce qui aura lieu dans les années 70 sous l’égérie d’un Joe Strummer ou d’un Sid Vicious ?
J’aurais pu aussi citer Rocky Horror Picture Show, Hedwig and the Angry Inch et Good Morning England - hop, ils sont placés ceux-là ! -, mais j’ai plus la place, si ?

Références: Brecht, Bertold. Baal. L’Arche, 1994
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