Palmarès impressionnant : en deux ans, Nin n’a pas moins de quatre amants (et d’autres plus épisodiques, des femmes, dont celle de Henry Miller), en regard de Hugh, son mari, presque un meilleur ami, fidèle et compréhensif, l’acceptant tout entière telle qu’elle est.
Hugh Parker Guiler représente le giron protecteur vers lequel elle revient toujours avec confiance : « […] il m’est apparu ridicule que Hugh puisse souffrir d’un simple acte physique, alors qu’il accepte tous les égarements de mon imagination et de ma fantaisie. » (p. 379, 25 octobre 1933).
Il y a bien sûr Henry Miller, l’amant qui détrône tous les autres avec lequel elle partage une passion charnelle et créative sur une vingtaine d’années :« Henry, mon amour, je peux t’aimer bien mieux, maintenant que tu ne peux plus me faire de mal. Je peux t’aimer plus gaiement. Plus librement. Je peux supporter la distance, la séparation, les trahisons. Je ne prends que le meilleur, le meilleur et le plus fort. ». (p. 343, 4 septembre 1933)
René Allendy, son premier psychothérapeute, lui, passe rapidement à l’as : « Une bonne part de mes caprices avec Allendy vient de ce que je cherche à me cacher à moi-même de quel piètre amant j’ai hérité. Qui aurait idée de coucher avec un magicien ? Les prophètes n’ont pas de sexe. » (p. 198, 19 avril 1933). En voilà un qui aurait mieux fait de s’en tenir au divan !
Oh, il y eu bien aussi quelques temps son cousin venu de France pour « soigner » son homosexualité : « Je dois rajouter Eduardo à ma collection de personnages étranges, à mon « Alraune » malade, à mon univers de folie. Il achète des livres qu’il ne lit jamais ; il achète du matériel de peinture, mais ne peint jamais […] il est jaloux d’une femme dont il ne veut pas ; il ne désire les femmes que pour les quitter, sans les avoir eues » (p. 374, 16 octobre 1933).
Et, après vingt ans d’absence, « Mon père revient à moi, alors qu’il n’est plus le maître intellectuel dont je rêvais (c’est Henry), le guide que j’implorais (Allendy), le protecteur sur lequel pouvait compter l’enfant en moi (Hugo) » (p. 214, 5 mai 1933). A travers cette multitude d’hommes, elle le sait, c’est une part de l’image du père disparu qu’Anaïs a cherché : « Chaque découverte que j’ai faite de ta vie, de toi, répond à ce que j’ai le plus profondément voulu qu’elle soit, que tu sois. Je me rends compte que je les ai cherchées dans d’autres êtres, obscurément. Que toi, et toi seul, remplis un grand vide que je trouvais dans le monde. » (p. 237, 21 mai 1933). Finalement, elle ne trouve même pas chez son père cette complétude tant espérée. Il lui avait paru d’abord puissance sexuelle et double au féminin (elle qui se sent homme), mais il devient à ses yeux un homme vieillissant et pitoyable : « Comme je me moque de Père. Sans détour. Amèrement. Cruellement. » (p. 422, 12 mars 1934).
L’entrée d’Otto Rank (psychanalyste et disciple de Freud) dans la vie de Nin, sous la forme d’une thérapie, marque la fin de la liaison avec son père. Effet de transfert flagrant : Rank devient la nouvelle obsession amoureuse d’Anaïs. « Impression de vivre avec lui une aventure intellectuelle tout à fait unique. […] J’ai confiance en lui. Je lui confie la vérité, ce qui m’arrive rarement. Je veux vraiment lui offrir cela » (p. 398, 14 janvier 1934). Mais comme pour tous les autres (excepté Henry et Hugh vers lesquels elle revient toujours), Anaïs se lasse vite de ce qui lui avait paru d’abord idéal.
Cette attitude peut paraître immorale à divers niveaux, mais des conventions, Anaïs n’en avait rien à foutre, elle en bavait déjà suffisamment pour parvenir à vivre. Son attitude relevait d’une profonde auto lucidité : « Tout va bien quand je partage mes amours, comme avant – tout vivre par morceaux, par fragments » (p. 376, 27 octobre 1933).
Références : Nin, Anaïs. Inceste, tiré du "Journal de l'amour" : journal inédit et non expurgé des années 1932-1934. Paris : Librairie générale française, coll. « Le livre de poche : Librio », 2002. 540 p. Traduit de l'anglais Incest par Béatrice Commengé. Préface par Rupert Pole.
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