Voilà un petit recueil (80 pages) qui recèle de grands moments oscillant entre nouvelles anecdotiques et nouvelles-fables, illustrant des réalités profondes et contrastées, avec des fables qui prennent pour témoin un homme, un animal, une communauté pour piquer là où le bât blesse.
Le narrateur de la nouvelle «Le lâcher-prise », culpabilisant de faire une sieste, s’endort près de son chat ronronnant et se réveille auprès d’un tigre qui parle. Tout est là, représenté de façon imagée et symbolique : ce syndrome actuel très présent dans notre société qu’est la nécessité d’une hyperactivité jusqu’à l’épuisement simplement parce que faire une pause c’est s’avouer vaincu. Et ce tigre qui apparaît pour apprendre les rudiments à l’homme éternellement culpabilisant de ne pouvoir être surhomme : le rendement à tout prix, l’efficacité de chaque instant, un Homme qui doit pratiquement combattre (redoubler ?) de compétitivité avec la machine et ne peut se permettre de se reposer, une sorte de lutte constante contre la fuite du temps (si je dors, je vais perdre un temps d’activité précieux) qui, lui, n’est pas nouveau.
Ce qui est certain, c’est que la plume de Michael Auffray est toute aussi drôle qu’acérée. Certaines nouvelles se jouent d’un humour noir grinçant, comme la nouvelle-titre qui ouvre le recueil et nous happe dès les premières lignes dans ce recueil loufoque et jouissif. C’est sans compter sur la twist-ending de la nouvelle qui nous ravit d’autant plus qu’elle constitue une critique acerbe de la vie d’un village reculé où les villageois passent leur temps à juger les autres par ennui, ou pour ne pas voir leur propre vacuité. La tonalité de cette nouvelle n’est pas sans rappeler la plume d’un Jean Teulé dans Mangez-les si vous voulez, tout aussi grinçant : le portrait acerbe d’une société embrigadée dans des traditions tout aussi vieilles que viles.
Dans la nouvelle « Dignité en péril » : un personnage en retard pour passer des entretiens d’embauche finit par échouer, après diverses péripéties toutes plus cocasses les unes que les autres, dans un parc pour avoir une discussion avec un toucan qui lui offre une vision toute particulière du monde, pleine de sagesse et de relativisme.
Bref, ce recueil est un florilège de personnages cocasses et profondément humains qui sont tracés d’une plume sûre et grinçante. L’auteur se joue de l’absurdité des situations tout en maîtrisant une langue élevée et fluide. Lire ce recueil, c’est aussi un peu se rire du monde qui nous entoure pour mieux le voir, c’est un miroir déformant tendu devant le lecteur qui pourra y trouver ce qu’il veut : du divertissement ou quelque chose de plus profond, peut-être ce topo de l’absurde qui conditionne la vie humaine.