L’histoire sans fin (Wolfgang Petersen, 1984) marque un tournant dans la culture jeunesse des années 80. C’est l’une des premières fois qu’on présente à des enfants un monde merveilleux qui ne soit pas seulement positif et bienveillant. L’histoire est bien connue : alors qu’il est violenté par des camarades d’école, Bastien se réfugie dans une librairie voisine où il découvre un livre intitulé « The never ending story ». Un monde fantastique s’ouvre à lui et Bastien devient peu à peu le personnage principal de l’histoire. Le monde merveilleux dans lequel il plonge est en proie à la dévastation : le Néant aspire tout sans distinction (paysages, Hommes, animaux, créatures fantastiques) et l’univers se parcelle en milliers de fragments lévitant dans l’espace infini.
Bastien s’avère être le seul à pouvoir mettre un terme à cet anéantissement, à l’instar de Toru dans Pianissimo, pianissimo (Tsuji, 2008), seul capable de voir la « grisaille » qui gagne peu à peu le monde et seul à pouvoir affronter son incarnation dans la figure du Dieu-Chien. Que ce soit Bastien ou Toru, l’enfant est l’incarnation du héros, le dernier être encore suffisamment lucide pour pouvoir sauver le monde de son anéantissement.
L’histoire de Pianissimo, pianissimo est moins connue : dans l’école de Toru, un jeune garçon solitaire de 12 ans, se matérialisent des apparitions étranges, le fantôme d’anciens élèves morts, le monde est environné d’un voile de neurasthénie de plus en plus épais. Toru découvre l’existence d’un univers parallèle, fantasque et effrayant, le miroir en négatif du monde réel dans lequel les hommes sont vides et apathiques, soumis à un dirigeant malveillant, une créature de l’ombre que seul Toru semble pouvoir affronter (le Dieu-Chien).
Dans ces fables modernes, à l’instar de Morla la vénérable, la tortue géante apathique et stoïque de L’Histoire sans fin, qui sombre dans la mélancolie et se lasse même du malheur du monde, les adultes se voilent derrière une opacité de plus en plus dense et ne savent plus discerner la bienveillance du monde : « lutter contre le Néant, c’est garder l’esprit d’enfance, la capacité de s’enchanter... » (Baudou).
C’est par la fantasy et le recours au merveilleux que ces fables gagnent toute leur pertinence, une mise en abyme qui permet de révéler le monde réel qui nous entoure par l’entremise d’objets fantasques et symboliques.

Références

Baudou, Jacques. « La fantasy en images », dans La fantasy. Paris, Presses Universitaires de France, « Que sais-je ? », 2005, p. 94-117. URL : http://www.cairn.info/la-fantasy--9782130551584-page-94.html
Montandon, Alain. Du récit merveilleux ou l’ailleurs de l’enfance, Le Petit Prince, Pinocchio, Le Magicien d’Oz, Peter Pan, E.T., L’Histoire sans fin. Paris, Imago, 2001,230 pages.
Saint-Dizier, Marie, « 4. L'explosion du merveilleux », dans Le pouvoir fascinant des histoires. Ce que disent les livres pour enfants, sous la direction de Saint-Dizier Marie. Paris, Autrement, « Mutations », 2009, p. 66-82. URL : http://www.cairn.info/le-pouvoir-fascinant-des-histoires--9782746713406-page-66.html
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