De la pluie vs La Caravane de l'étrange
Dans son pamphlet intimiste et humoristique pour la pluie, Page rapporte « l’histoire d’un homme parcourant les régions arides des Etats-Unis à la fin du XIXe siècle avec une machine de son invention qui, clamait-il, avait le pouvoir de faire pleuvoir. », de ce type de charlatan profitant du malheur des agriculteurs accablés par la sécheresse et leurs champs où plus rien ne demeure que de la paille.
C’est avec une scène très ressemblante que s’ouvre la série La Caravane de l’étrange qui se place dans les années trente aux États-Unis pendant le dust bowl, « intense érosion éolienne des grandes plaines américaines, due à l’exploitation intensive des sols par l’agriculture et à une sécheresse sans précédent » (Masutti, Christophe). Après la mort de sa mère, Ben Hawkins, un jeune homme doté de pouvoirs de guérisseur, s’évade de prison en intégrant une bande de forains. S’enclenche peu à peu une guerre sourde entre le bien (Ben) et le mal (le prêtre qui persécute les forains). Dans les premières minutes de la série, Ben assiste à la représentation d’un de ces faiseurs de pluie trimballant sa machinerie improbable pour invoquer le retour de la pluie et sauver les récoltes. La pluie ne vient pas.
« Dans un contexte où l’absence de l’eau se fait régulièrement et cruellement sentir […], les rites magiques de la précipitation de la pluie forment un complément nécessaire et acquièrent inéluctablement une valeur vitale pour les membres d’une communauté. » (Sanchez) Alors que la population n’espère plus un geste qui proviendrait naturellement du ciel, il est facile aux faiseurs de pluie - ces « magiciens » qui effectuent des rites mystiques pour invoquer la divinité afin qu’il pleuve - de faire croire à la valeur de leurs chimères pour récolter les offrandes de la population. Autant dire que les faiseurs de pluie repartaient des villages aussi secs que lorsqu’ils étaient venus !
Le miracle est peut-être à chercher ailleurs. Le 9 août 1934, le Times titre sa Une « Roosevelt, le “faiseur de pluie” », en référence aux chutes de pluie recensées à plusieurs reprises cinq à sept heures après le passage du convoi présidentiel.
La dust bowl dura 14 ans (1928-1942) et ravagea la société agricole et populaire américaine en parallèle du krach boursier de 1929. La série télé Carnivale se teinte d’un réalisme populaire à la Steinbeck mêlé à une charge mystique perplexe. La photographie révèle un travail hors du commun pour une série tv (eh oui, il y a eu un avant et un après Game of thrones !) et malgré son arrêt de production soudain (pas assez d’audimat), Carnivale a sans doute influencé l’esthétique de nombreuses séries qui ont suivies comme American Horror Story ou True detective.

Références
Boudon, Raymond, et Renaud Fillieule. « La rationalité cognitive », Les méthodes en sociologie. Presses Universitaires de France, 2012, pp. 92-121.
Knauf, Daniel. La Caravane de l’étrange. HBO, 2003-2005.
Masutti, Christophe. « Les faiseurs de pluie : l'écologie à l'ère de Franklin Roosevelt », Ecologie & politique, vol. 33, no. 2, 2006, pp. 155-169.
Page, Martin. De la pluie. Paris : J’ai lu, 2011. P. 71-72
Sanchez, Pascal. « 12. Les théories rationalistes de la croyance magique », La Rationalité des croyances magiques. Librairie Droz, 2007, pp. 465-550.
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