« Lire Virginia Woolf prend du temps. Son œuvre est longue, variée, touffue, et sa manière d’écrire si peu conventionnelle que l’on doit faire attention, être vigilant, avancer à petits pas pour ne rien perdre et pour ne pas s’y perdre. » (Brisac. p. 81)
L’écriture de Virginia Woolf a rebuté de nombreux lecteurs : trop complexe, des phrases trop longues, biscornues, dont on oublie le début tant la phrase s’est laissée emporter par un courant, un flux. Mais c’est bien sûr aussi ce qui fait le charme de son style pour peu qu’on s’y laisse prendre. 
Lire du Woolf, c’est faire le deal d’un lâcher-prise avec le livre. Et là, ça matche. Et là, tout un monde de sensations, d’émotions, nous assaille tout à coup. On se décourage parfois de l’immensité de l’œuvre de Proust – le pendant masculin et français du flux de conscience –, les romans de Woolf sont plutôt courts et serrés, mais quelle densité dans ces pages !
« […] la vie est un halo lumineux, une enveloppe semi-transparente qui nous entoure du commencement à la fin de notre état d'être conscient. N'est-ce pas la tâche du romancier de nous rendre sensible ce fluide d'éléments changeant, inconnu et sans limites précises […] » (AR, p. 15). C’est à partir de son observation du fonctionnement d’une conscience humaine qu’elle comprend qu’un roman doit pouvoir rendre compte de ces mouvements de l’esprit. Il y a une base commune : Les Données immédiates de la conscience
Dans cet essai de 1889, Bergson exprime comment la conscience s’éparpille à la fois dans le temps et l’espace, qu’elle est sans borne et sans tabou. 
Pensons aussi à l’influence d’un Einstein, très présente à l’époque, de l’éclatement de ses atomes en un nombre infini de particules : « Enregistrons les atomes tels qu'ils tombent, dans l'ordre selon lequel ils tombent ; traçons, tout fragmentaire et incohérent qu'il paraisse, le dessin que chaque spectacle, chaque incident imprime dans la conscience. » (AR, p. 16). C’est ce que l’on a nommé, en littérature, le flux de conscience.
Et techniquement ? Ce sont des phrases sans fin, des paragraphes d’autant feuillus, des métaphores poétiques, une prose poétique, la libre association d’idées, un flux ininterrompu de pensées qui s’enchaînent, un brouillage spatio-temporel, pas de frontières entre les pensées des personnages qui se font écho, se répondent ou s’envolent carrément ailleurs. Une harmonie humaine donc côtoyant une infinitude de détails intimes, un jeu entre l’intérieur particulier d’une personnalité et ce qu’elle a d’universel. Il y aurait beaucoup à en dire : retenez surtout cette idée d’un flux qui traverse la conscience, comme si on mettait un micro dans la tête du personnage.

Bibliographie
Brisac, Geneviève. Desarthe, Agnès. V. W. le mélange des genres. Paris : Éditions de l’olivier, 2004. 279 p.
Cannone, Belinda. Narrations de la vie intérieure. Éditions Puf, DL 2001, 114 p.
Woolf, Virginia. L'Art du roman. Ed. Seuil, DL 1963, 203 p.
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