De nombreuses envolées lyriques parsèment ce livre fait de récits d’instants de vie entrecroisés, de fragments, une sorte de journal en fait mais avec un objectif défini : rendre compte de la trace des clandestines, c’est-à-dire de ces femmes croisées, plus ou moins fugacement, et/ou qui ont marqué d’une manière ou d’une autre la narratrice.
C’est une littérature de l’intime, au sens woolfien du terme : sonder la psyché pour y retrouver les traces et les échos qu’ont laissé les passants (quel que soit la durée de l’histoire commune, toujours des passants). Il est de ces livres auxquels on pense même lorsque nous ne les lisons pas et, tout à l’heure, je me suis fait la réflexion en marchant: la littérature de l’intime peut paraître une littérature très personnelle, extrêmement subjective voir autocentrée. Mais il faut comprendre que ce qui est révélé de personnel a tellement peu d’importance face à ce qu’elle révèle d’existentiel et d’essentiel, bref d’universel (il n’y a pas de littérature où l’auteur puisse être plus invisible).
Le rythme de Mes clandestines est au plus près de la pensée intime, du moins ce genre de pensée : vitesse, associations d’idées, digressions, retour inopiné sur une idée frôlée lors d’une phrase pensée quelques minutes ou quelques heures auparavant, ce genre de galop à toute vitesse dans le vaste champ des possibles de la libre-association et qui ne peut être énoncé à voix haute, à l’attention de quelqu’un d’autre, avec une telle fluidité ; il faudrait s’expliquer, donner les connecteurs logiques qui, dans notre tête n’ont pas besoin d’être exposés, ils font partis intégrante de notre pensée, de son système personnel.
Et cette façon d’écrire l’intime impose aussi un rythme pour le lecteur (ou peut-être cette impression n'appartient-elle qu'à moi, que la pensée doit aller vite pour ralentir tout à coup face à l’objet d’une contemplation qui prend par surprise : une phrase, une idée, le partage d’un sentiment ou d’une émotion qui se répercute directement dans le ventre et en fait mesurer la puissance – et sans doute ne seront-ce pas les mêmes ou la même puissance pour d’autres lecteurs).
En approchant de la fin de Mes clandestines, j’avançais à pas lents car j’aurais voulu ne pas quitter ce livre – mais ce qui fait la force des livres c’est aussi qu’ils sont contenus dans un tout global, figé ; on pourrait toujours poursuivre un livre, le réécrire, l’augmenter, mais je crois qu’il n’est possible, pour son auteur, d’affirmer qu’un livre est terminé que lorsqu’il accepte que les possibilités d’expansion appartiennent désormais au lecteur.
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