Sylvie Germain n’a pas eu le choix : ce livre devait s’écrire en fragments, parce que c’est lui qui en a décidé ainsi: « Peut-être que le procédé en fragments correspondait tout particulièrement à ce livre racontant l’histoire de quelqu’un dont la petite enfance a été volée, a disparu, quelqu’un dont les souvenirs sont fracassés et en désordre, ce qui explique aussi que le « fragment » ne prenne sa place que tardivement. C’est la preuve, en apparence biscornue, que tout se tient, quand on écrit un livre ! » (Germain, Sylvie. Écrire, écrire, pourquoi ? Sylvie Germain. Éditions de la Bibliothèque publique d’information, 2015-01-06T17:38:47.000000+00:00. iBooks.)
Le thème finalement assez peu original, quand on a souvent lu, vu, écouté à ce propos (forme d’implacabilité que connaît tout lecteur après des années de pratique de la lecture: on est moins facilement surpris) : la crise identitaire de l’Allemagne post-nazisme et la découverte réelle de sa propre famille.
La force du livre tient avant tout de cette forme du roman en fragments parce que ça fonctionne tout simplement, c’est pertinent. Il nous est livré des fragments de la voix narrative interne du personnage, un personnage nécessairement fragmenté en lui-même puisqu’il est à la recherche de la constitution de sa psyché à travers des éléments épars qu’il peine à trouver et de sa mémoire (et, de plus, une mémoire n’est-elle pas foncièrement fragmentaire ?!) dont des pans entiers se sont égarés. Et c’est à nous, lecteurs, de comprendre, d’anticiper, ou d’imaginer les chaînons manquants.
Les séquences lyriques qui viennent rythmer le roman entre chaque fragment semblent livrer des pistes de compréhension sans que la clarté ne se fasse pour autant – tout comme dans l’esprit du personnage. Lecteur et personnage partagent la même posture : une quête de soi à travers les débris épars et flous du passé ; et rien ne permet au lecteur de pouvoir affirmer à aucun moment qu'il en sait plus que le personnage. Ils sont dans la même peau : ils émettent des hypothèses, font volte-face puis reviennent sur une potentielle reconstitution du passé et de l’identité de Magnus ; le lecteur met donc les mains dans le cambouis avec le personnage et ne peut que supputer.
Voilà un roman d’où le romancier lui-même semble être absent: il a livré le texte tel que celui-ci lui est apparu – fragmentaire et peut-être à jamais incompréhensible même pour lui – au lecteur qui, pour accéder à ce qui se déroule n’a d’autre possibilité que de pénétrer cette psyché déconstruite, en quête d’une totalité que seul le lecteur peut-être pourra émettre mais jamais affirmer.
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