La girl power existait déjà en 1807. Mme de Staël n’a pas attendu la revendication des suffragettes pour commencer à penser la femme libre. Corine, ou de l’Italie, c’est l’histoire de l’émancipation d’une femme grâce à la connaissance et à la culture, et c’est aussi sa déchéance lorsqu’elle rencontre l’amour.
De Staël met en scène les limites sociales contemporaines qui cantonnent le rôle de la femme à celui de mère et d’épouse : la société n’a pas encore les épaules suffisamment larges pour accueillir des femmes qui prennent place dans la société et contribuent même à son enrichissement. C’est à travers le personnage d’Oswald que cette critique transparaît, lui qui, tout aussi admiratif que jaloux du succès artistique de la femme qu’il convoite, finit par l’enfermer dans le rôle classique d’une femme fade et sans saveur.
Dans Corine, De Staël présente sa propre désillusion en une société égalitaire et juste, sur l’impossibilité pour une femme de son époque de coordonner réussite professionnelle, indépendance et épanouissement amoureux. Elle a cru en l’éclairage naissant d’une société issue des lumières, plus juste, plus égalitaire, plus ouverte sur l’Europe, bref un monde fondé sur la notion de « citoyen du monde » et dans lequel chacun, qui qu’il soit, aurait eu un rôle à tenir, une contribution à apporter quel que soit son niveau.
Corine est également un roman féministe avant l’heure, toujours dans cette démarche égalitaire, luttant contre cette notion de lutte de pouvoir que De Staël exècre. Mais à l’heure où elle écrit Corine, l’espoir est déjà irrémédiablement déçu pour De Staël puisque, alors qu’elle espérait un monarque éclairé et une démocratie, elle est contrainte à l’exil par le Directoire de Napoléon.
La scène peut-être la plus emblématique du roman se situe dans le premier livre, lorsque Corine, est acclamée dans les rues de Rome pour sa poésie et qu’elle fait la rencontre d’Oswald, d’emblée admiratif et jaloux de la reconnaissance dont Corine est l’objet. Cette scène représente à la fois l’apogée de la reconnaissance officielle et consensuelle de la féminité et de l’art dans leur toute puissance ; Corine apparaît comme une femme libre qui a les moyens de sa liberté et de son indépendance. C’est aussi le point de départ de sa chute puisqu’elle rencontre Oswald et que le reste du roman démontrera comment la cruauté au sein du couple peut annihiler cette puissance créatrice.
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