Je crois qu’il est important, pour ne pas dire essentiel, pour un écrivain, de lire des livres qui parlent de l’expérience d’écrire et de tout ce que cela sous-tend : lecture, critique, organisation du travail, légitimité, construction, etc. C’est essentiel parce que l’écriture peut être un travail profondément solitaire. On s’y donne à fond, on s’implique, on le pense et on le crée, mais on est indéniablement confronté à des doutes et des questionnements dans lesquels, trop isolé, on se noie ; tout cela se mêle dans notre tête jusqu’à ce que les nœuds entre eux ne laissent plus passer de lumière.
Il est essentiel de converser avec d’autres écrivains, d’échanger des retours d’expérience personnelle et de voir que certains se font écho. Lire des livres sur l’écriture est de cet acabit-là. On en sort avec un élan vital renouvelé, on avance plus tranquillement en sachant que notre enchevêtrement de nœuds n’a rien d’inextricable, puisque d’autres sont passés par là et s’en sont très bien sortis.
Chacun rencontre le livre qui lui apporte ce souffle un jour ou l’autre, et on ne sera pas tous touchés par les mêmes. Il y a beau avoir des résonances entre les expériences d’écriture, notre expérience personnelle avec toutes ses circonvolutions est unique. Voici en tout cas les miens.
MES ROMANS PRÉFÈRÉS AUTOUR DE L’ÉCRITURE
Les Heures – Michael Cunningham. Ce roman propose en parallèle l’histoire de l’auteur (Virginia Woolf), du personnage et de la lectrice de Mrs Dalloway à travers trois époques historiques différentes. Ce roman a été magistralement adapté au cinéma par Stephen Daldry.
Rien ne s’oppose à la nuit – Delphine De Vigan. Quand il s’agit d’écrire l’histoire familiale et plus particulièrement celle de sa mère, c’est tout un tas de questions relatives à l’écriture, à la fidélité au vécu vs l’intégrité de l’écrivain, à la nécessaire transformation du réel et de la mémoire, qui émergent. Dans ce roman, en parallèle de l’histoire racontée, De Vigan parle explicitement de ces questionnements autour de l’écriture, notamment biographique et autobiographique.
Les Années – Annie Ernaux. Pas à proprement parlé un roman sur l’écriture mais un roman qui retrace des décennies de la société française des années 40 jusqu’aux années 2000 pour l’intermédiaire d’un « nous » impersonnel. Un roman magistral parsemé d’éclats magnifiques à propos de l’entreprise de l’écriture autobiographique et sociologique.
Souvenirs de l’avenir – Siri Hustvedt. S.H. retrouve, quarante ans après ses années de formation new-yorkaise, son journal de cette époque, et tente d’analyser par la rétrospective ses premières années de formation en tant qu’adulte et en tant qu’écrivain.
Tristesse et beauté – Yasunari Kawabata. Oki, un romancier vieillissant, convoque le souvenir de son premier amour qui lui a inspiré des décennies auparavant l’un de ses premiers romans et son plus grand succès auprès du public. Il interroge le lien entre la personne qui l’a inspiré et le personnage qu’il a immortalisé, tandis que son fils se rapproche dangereusement de la protégée de son amour de jeunesse.
La Part des ténèbres – Stephen King. Un face à face avec son double démoniaque ou quand un écrivain est confronté à la concrétisation de ses fictions par l’intermédiaire de son double démoniaque.
Misery – Stephen King. Après un accident de voiture, un auteur est séquestré par « sa plus grande fan » qui le contraint à écrire la suite de la série de livres Misery à laquelle il avait décidé de mettre un terme. Dans ce roman, de nombreuses interrogations alors sur l’écriture contrainte, l’inspiration, les conditions de l’écriture, d’autant plus que la narration de ce roman est prise en charge par l’auteur séquestré.
L’art de revenir à la vie – Martin Page. « Martin vient d'avoir 41 ans. Il se rend à Paris pour rencontrer une productrice qui souhaite adapter un de ses romans au cinéma. Logé chez un ami artiste, il découvre la dernière œuvre de celui-ci, une curieuse "Machine à remonter le temps". Il s'y glisse et s'y endort. Le temps d'une nuit, le voilà revenu 29 ans plus tôt, face à un double de lui-même âgé de 12 ans. Le lendemain, il retrouve la productrice pour discuter de l'adaptation de son roman. Mais très vite, tout déraille. Chaque nuit que compte ce séjour parisien où rien ne se passe comme prévu, Martin et son jeune-moi poursuivent leur conversation. Tout en lui révélant une partie de son avenir, le quadragénaire cherche à donner des conseils à l'adolescent, il veut l'aider et lui éviter les expériences douloureuses. Mais la relation se complique : ce jeune double a l'esprit de contradiction et ses remarques poussent Martin à se remettre en question. Vie rêvée et vie réelle deviennent aussi déstabilisantes et excitantes l'une que l'autre. » (Résumé de l’éditeur)
Des bleus à l’âme – Françoise Sagan. Ce livre est un méta roman, c’est-à-dire qu’il met en parallèle l’histoire du livre et l’expérience de l’écriture de ce livre. Sagan tente de reprendre l’écriture d’un récit ébauché des années auparavant, sauf qu’elle n’y trouve plus la puissance et l’intérêt qu’elle avait gardé en mémoire, alors elle décide de s’amuser et de critiquer elle-même cette ébauche de récit tout en dérivant sur des considérations autour de l’écriture.
MES NON-FICTIONS PRÉFÉRÉES AUTOUR DE L’ÉCRITURE
Série « Écrire, écrire, pourquoi ? » de la Bibliothèque publique d'information. Il s’agit d’un cycle d’une vingtaine d’entretiens qui se sont tenus à la Bibliothèque publique d'information en 2008 durant lesquels les auteurs invités parlent de leurs pratiques d’écriture. Une approche très concrète et riche du métier d’écrivain. Ils sont disponibles en format ebook. Sont passés des auteurs comme Annie Ernaux, Jean-Claude Carrère, Linda Lê, Marie Darrieussecq, etc.
L’écriture du désir – Belinda Cannone. De l’écriture comme une forme de désir sans faim/fin, infini, une danse, un érotisme.
En vivant, en écrivant – Annie Dillard. Le quotidien d’écrivain d’Annie Dillard. Elle réfléchit sa pratique de l’écriture dans ce qu’elle a de plus pragmatique et de plus pratique, avec simplicité, livre des conseils inestimables pour un écrivain débutant.
Écrire – Marguerite Duras. Ce petit opus écrit par cette grande femme (beaucoup de grandes femmes en fait dans ma liste) est un livre vers lequel je retourne en quête de profondeur. Lorsque l’écriture me paraît vaine et tellement incommensurable que l’ouvrage me désespère, Marguerite me rappelle pourquoi j’écris.
Le vrai lieu – Annie Ernaux. Le vrai lieu, pour Annie Ernaux, c’est l’écriture elle-même, un lieu dont le point géographique n’est fixé nulle part ailleurs qu’en soi-même. L’écriture comme un compagnon de vie, un fauteuil transportable où et quand que l’on soit.
Paris est une fête – Ernest Hemingway. Récit des années de formation d’écrivain d’Hemingway à Paris dans le sillage de Gertrude Stein, où il croise Picasso, Fitzgerald, et d’autres artistes de la Belle époque.
Chroniques du hasard – Elena Ferrante. Ces chroniques, commandées par le Guardian, l’auteur relève le défi : écrire sous la contrainte d’une thématique imposée. Entre ces chroniques, se dévoile la patte d’un écrivain hors du commun, dont le regard acéré ne laisse rien passé des détails de la vie courante. 
Frantumaglia : l’écriture et ma vie – Elena Ferrante. Elena Ferrante a un statut d’écrivain particulier dans le champ littéraire actuel. De la personne, personne ne sait rien, on ne sait pas ce pseudonyme dissimule. C’est un parti prix volontaire de l’écrivain qui préfère que ce soient ses œuvres qui soient sur le devant de la scène et refuse de participer au battage médiatique qui s’attache plus à la figure de l’écrivain qu’à ses livres eux-mêmes. Une vraie leçon quant au positionnement à adopter en tant qu’écrivain.
Bookmakers, les écrivains au travail. Série radiophonique par Richard Gaitet. Arte radio. Diffusé sur Arte radio, ces petits bijoux de la radiophonie sont d’une richesse inestimable pour un écrivain. En écoutant ces écrivains parler de leur travail et analyser avec Richard Gaitet leur carrière depuis le début, on se sent comme dans un club de copains avec lesquels on partage au quotidien les doutes, les interrogations, l’artisanat, le travail de longue haleine parfois épuisant, parfois euphorisant. La réalisation technique est excellente : bruitages, musique originale, extraits de livres lus avec mise en scène, …
L’espèce fabulatrice – Nancy Huston. L’affabulation n’est pas du seul ressort des écrivains et des inventeurs artistiques de tout poil, c’est dans notre humanité même que se trouve cette pépite qu’est l’imagination, le pouvoir de fabuler.
Bad girl, classes de littérature – Nancy Huston. Face à face à caractère autobiographique entre la Nancy Huston en train d’écrire ce livre et la Nancy Huston qui fait ses premières armes dans la littérature.
Écriture : mémoire d’un métier – Stephen King. Quoique certains pensent ou disent, Stephen King est un grand écrivain et je dirais personnellement que c’est un maître dans l’art de la narration. Quel que soit le sujet de son récit, ses romans révèlent toujours une haute maîtrise de la narration, de ses ressorts, et de ses distorsions (distorsions que seuls savent mettre en œuvre avec brio ceux qui ont suffisamment expérimenter les voies tracées). Il partage dans ce livre, avec simplicité et sincérité, les ressorts de sa pratique d’écrivain. Et, pour un autre écrivain, c’est un livre extrêmement formateur.
Journal d’un écrivain en pyjama – Dany Laferrière. Ce journal sans prétention, sincère et drôle, apporte la relativité dont on manque parfois cruellement dans ce métier. Il est bon d’y piocher parfois quelques extraits pour se rappeler qu’il ne faut tout simplement pas se prendre la tête : l’écriture aussi peut être quelque chose de simple.
J’écris comme je vis – Dany Laferrière. Long entretien avec Bernard Magnier auquel se livre Dany Laferrière avec toujours autant de sincérité, d’humour et de sérénité.
L’écrivain et l’autre – Carlos Liscano. Personnellement, cet essai a révolutionné ma propre pratique d’écrivain. Liscano, écrivain âgé, désabusé, en mal d’écriture (ou plutôt des premiers élans de l’écriture), se met lui-même en scène pour servir sa démonstration : l’écrivain est un être double. Il y a celui qui vit, fait ses courses, prend sa douche, etc., et celui qui écrit, et l’un et l’autre ont a la fois besoin de l’autre, se nourrit de l’autre, s’enrichit, et parfois doit le supporter.
Profession romancier – Haruki Murakami. Réflexions autour de l’écriture par le grand maître romanesque de l’inquiétante étrangeté. Sincère et émouvant.
Les Artistes ont-ils vraiment besoin de manger ? – Martin Page. Orchestré par Martin Page et édité dans sa propre maison d’auto-édition, ce livre regroupe une série d’interviews que Martin Page a tenu avec les artistes de son entourage pour lui poser des questions sur leurs pratiques artisanes et leur quotidien d’artiste, pas si fleur bleu et lunaire que de nombreux détracteurs peuvent le dire.
Manuel de survie et d’écriture – Martin Page. Ce petit livre porte bien son nom : c’est véritablement un « manuel », de ces petits livres qu’il est bon d’avoir toujours à portée de main. En toute sincérité, sans en faire trop, sans omettre les difficultés et les questionnements, sans volonté d’apporter une réponse toute faite, Martin livre son expérience d’écriture et de vie : une force tranquille et durable qui nous traverse pour nous ramener vers le positivisme et la survie quotidienne.
La vie courante – Pierre Péju. Ensemble de fragments de texte qui ne parlent pas seulement d’écriture mais aussi du Temps, de la vieillesse, de la vie, dont, bien sûr, pour un écrivain, l’écriture fait partie.
Lait noir – Elif Shafak. C’est une des grandes questions du champ littéraire aujourd’hui : la Femme et l’écriture. Cela sous-entend bien sûr aussi le combat éculé : maternité vs écriture. Elif Shafak questionne aussi le statut des femmes vs l’écriture, vs le monde littéraire, et le rôle des femmes dans son pays (la Turquie). Mais il ne s’agit pas d’un essai comme les autres : il s’agirait plutôt d’une pièce de théâtre dans laquelle Elif Shafak convoque différents personnages (Miss Cynique Intello, Miss Maman Gâteau, etc.) comme autant d’avocats du diable pour déboulonner sa volonté d’écrire, d’être une femme indépendante et même, pourquoi pas, mère, tout à la fois.
M Train – Patti Smith. Avec Patti, on marche constamment. A travers les amas de brouillons, de stylos, d’objets, ses débris d’écrivain comme elle les appelle elle-même. Et à travers ses voyages artistiques durant lesquels elle ne manque jamais de rendre hommage aux artistes qu’elle admire par l’intermédiaire des objets qu’ils ont laissé derrière eux.
Just kids - Patti Smith. Il ne s’agit pas, à proprement parler, d’un livre sur l’écriture, mais sur l’émergence et la construction d’un artiste et d’un art, indissociable de la vie et d’un regard. Digne héritière des enseignements de la Beat Generation, elle place l’expérience et son partage simple, naturel, au cœur de sa prose et de sa vie. Patti m’a apporté force et courage en me rappelant de ne jamais oblitérer ni laisser tomber son art : il est ce que tu es, me dit-elle chaque jour.
Paris ne finit jamais – Enrique Vila-Matas. A l’occasion d’une conférence autour de l’ironie, Vila-Matas convoque ses propres années de formation en tant qu’écrivain, ses rencontres avec des auteurs importants tels que Marguerite Duras, il en déduit des conseils, des orientations possibles, des tâtonnements dans lesquels le maître-mot demeure surtout et avant tout l’humour.
Journal d’un écrivain – Virginia Woolf. Ce qui est frappant et riche chez Virginia, c’est ce regard de lucidité (qu’on retrouve aussi dans le journal d’Anaïs Nin, lui aussi d’une puissance inouïe) qu’elle porte toujours sur son écriture, cette volonté toujours de la pousser plus loin. Pour observer une expérience d’écriture en train de se faire au jour le jour, c’est bien vers le journal de Virginia qu’il faut se tourner. J’y retourne souvent comme je m’installe dans le fauteuil d’une amie pour discuter d’humain à humain, avec nos forces et nos faiblesses.
Correspondance – Stefan Zweig. Zweig est un humaniste. Le côtoyer par l’intermédiaire de sa correspondance, c’est aussi se rappeler qu’être écrivain c’est avant tout laisser parler l’humanité qu’on porte en soi, c’est être au cœur de l’humain. D’assister à la chaleur, à l’attention, à l’altruisme et à la compréhension lucide qu’il apporte aux écrivains qui l’ont connu au même titre qu’à son œuvre. On a envie d’avoir un Zweig dans son entourage pour nous rappeler l’essence de ce métier et sa matière : l’humain.
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